« La clé, c’est le collectif »

de: Journal Services Publics

Les 8 et 9 novembre, le SSP tiendra son 48e Congrès à Saint-Gall. Privatisations, lutte des femmes, retraites et grève climatique: des enjeux cruciaux sont au menu. Questions à Katharina Prelicz-Huber, présidente du SSP.

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Quel bilan global tires-tu des quatre dernières années d’activités syndicales ?

Katharina Prelicz-Huber – D’abord, deux constats généraux. D’une part, la politique néolibérale et le populisme sont loin d’être terminés. Dans le service public, les privatisations et les programmes d’économies continuent. Avec des conséquences néfastes pour les prestations, les salaires et les conditions de travail.

En Suisse comme dans le reste du monde, les inégalités prennent des proportions effrayantes. Pour nous détourner de ces problèmes cruciaux, la droite fabrique des boucs-émissaires: les salarié-e-s étranger/ère-s, les requérant-e-s d’asile, les personnes invalides ou dépendantes de l’aide sociale, etc.

Il y a cependant des signaux encourageants. On sent une volonté de changement, de rupture avec le néolibéralisme, dans de larges pans de la société. La grève des femmes en a été un exemple éclatant, tout comme la lutte des jeunes pour la planète et la justice climatique. Quelque chose dans la société est en train de bouger, dans un sens progressiste.

Et au niveau du SSP ?

La grève des femmes, le 14 juin dernier, a été un moment clé, dans lequel le SSP a joué un rôle actif.

Dans les régions, nous avons eu quelques succès importants: nous avons empêché la sortie du personnel hospitalier de la Loi sur le personnel (LPers) à Fribourg; dans le canton de Vaud, nous avons bloqué la baisse des rentes prévue pour la fonction publique. À chaque fois, il a fallu des mobilisations et grèves largement suivies pour y arriver. À Zurich, nous avons empêché la privatisation de l’eau, grâce à un référendum; à Winterthur, nous avons lutté victorieusement contre la privatisation d’un hôpital public.

Au niveau fédéral, nous avons joué un rôle important dans le refus de la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III). Dans un deuxième temps, nous n’avons pas réussi à bloquer la réforme fiscalité et AVS (RFFA), en raison du compromis boiteux accepté par le PS.

Globalement nous faisons face à une rude adversité. Dans les cantons, les parlements continuent à adopter des programmes d’économies – qui risquent de se durcir avec les conséquences de la RFFA; dans les hôpitaux, le système des forfaits par cas (DRG) déploie ses effets catastrophiques.

Mais si le SSP n’était pas là pour résister, la situation serait pire.

Sur les retraites, nous avons eu un conflit au sein du SSP sur le projet Prévoyance vieillesse 2020, finalement refusé en votation populaire. Mais aujourd’hui, nous sommes réuni-e-s pour combattre l’élévation de l’âge de la retraite des femmes. Nous sommes favorables à l’initiative que l’USS s’apprête à lancer en faveur d’une 13e rente AVS – mais exigeons qu’elle s’applique aussi aux rentes de l’assurance invalidité.

Sur les questions de formation, le SSP continue à se battre en faveur d’une éducation égalitaire, y compris pour les réfugié-e-s.

Nous avons beaucoup travaillé. Mais notre lutte doit encore se renforcer.

À l’exception de quelques régions, le SSP a globalement perdu des membres. Comment l’expliquer ?

Trop de salarié-e-s ont oublié que de bonnes conditions de travail et de salaire ne tombent pas du ciel. Elles viennent de la lutte collective. Nous devons le répéter inlassablement.

Je pense que le mouvement des femmes et celui du climat jouent ici un rôle positif. De nouvelles générations comprennent que la lutte collective est possible, qu’elle peut aboutir à plus de justice sociale. Cela doit nous renforcer. Nous devons nous battre aux côtés de ces nouveaux/elles militant-e-s nous adresser à eux/elles, montrer que nous luttons pour de bonnes conditions de travail et de salaire, mais aussi un service public de qualité et pour la justice sociale. Ces trois éléments ne peuvent être séparés.

Le Congrès discutera de trois textes d’orientations. L’un propose de construire un « syndicat de lutte ». C’est la piste pour se renforcer ?

Oui. Il s’agit de répéter – et de traduire dans la réalité – le fait que seule la lutte collective permet le bien commun.

Bien sûr, le syndicat donne des conseils juridiques et un soutien individuel. Mais nous ne sommes pas une assurance. Ce qui fait notre force, c’est notre organisation collective.

Si tu es seul sur ton lieu de travail, tu es faible. Il faut des groupes syndicaux capables de défendre leurs conditions en utilisant tous les moyens de lutte, dont la grève.

Lier climat et service public

Concrètement, quels seront les batailles prioritaires pour ces quatre prochaines années ?

Katharina Prelicz-Huber – Notre bannière doit rester la défense d’un service public public de qualité pour toutes et tous. Cela implique de mettre fin à l’austérité et développer les prestations. La population a besoin de plus de crèches et de structures d’accueil de l’enfance, de meilleures conditions dans les EMS, de plus de personnel dans les hôpitaux, etc.

En parallèle, nous devons continuer, après le 14 juin, notre campagne pour la revalorisation des salaires et des conditions de travail dans les métiers « féminins ». Il est inacceptable qu’il existe encore des salaires mensuels inférieurs à 4000 francs dans le secteur public !

Cela va de pair avec la résistance contre les privatisations. Je pense par exemple au nettoyage dans les hôpitaux, aux technicien-ne-s dans les trams, etc. À chaque fois, les externalisations entraînent des baisses de salaires.

Au niveau politique, nous devrons nous battre contre le démantèlement des assurances sociales, pour le renforcement de l’AVS (lire ci-contre), pour un congé parental et un congé pour les proches aidants.

Il faudra défendre une Suisse ouverte, notamment contre l’initiative dite « de limitation » lancée par l’UDC, sur laquelle nous voterons en 2020, et exiger des mesures d’accompagnement capables d’éviter le dumping salarial. Nous devrons aussi continuer la lutte contre des traités de libre-échange destructeurs, comme Tisa ou le TIPP.

Les jeunes pour le climat demandent l’appui des syndicats afin de construire une grève capable de bloquer l’économie, le 15 mai 2020...

Défense du service public et défense du climat sont liés. Déjà dans les années 1980, le SSP s’est opposé aux centrales nucléaires. La bataille pour le climat est donc aussi la nôtre.

Dans notre syndicat, ce sont les membres qui tranchent. Si le Congrès décide de mobiliser pour le 15 mai, j’y participerai avec plaisir. N’oublions pas que c’est notre survie qui est en jeu.

Comme syndicat, nous devons insister sur le fait qu’une transition écologique est nécessaire, et qu’elle implique la création de bons emplois, avec des conditions de travail de qualité.

Une nouvelle bataille sur les retraites s’annonce avec le projet AVS 21, qui prévoit l’élévation de l’âge de la retraite des femmes à 65 ans. Va-t-on vers le lancement d’un référendum syndical sur la question ?

Katharina Prelicz-Huber – AVS 21 est un projet inacceptable. Il prévoit d’augmenter l’âge de la retraite des femmes, avec des clopinettes en contrepartie. Cela va contre tout ce que nous avons défendu le 14 juin dernier. S’il est maintenu, je pense que ce projet devra être combattu par référendum.

La grève féministe a renforcé notre combat pour l’égalité. Aujourd’hui, nous devons refuser toute élévation de l’âge de la retraite des femmes. Et ce, tant que les femmes continueront à recevoir des rentes nettement plus basses que les hommes, à toucher des salaires inférieurs et à occuper des emplois nettement moins bien payés, le plus souvent à temps partiel.

Durant la campagne sur la dernière révision fiscale (RFFA), on nous a dit que, grâce au compromis liant fiscalité et AVS, on ne parlerait plus d’augmenter l’âge de la retraite des femmes. On voit aujourd’hui que c’était une fausse promesse.

N’oublions pas que l’AVS se porte bien. C’est la LPP qui va mal. Ce qu’il faut, c’est renforcer le premier pilier du système de retraites, l’AVS – à la fois solidaire et stable. Et pas l’affaiblir.

La santé au travail sera aussi au cœur du Congrès, avec la publication des résultats d’une enquête sur la question…

Dans les services publics, les salaires sont bloqués, mais le stress explose en raison des diminutions de postes de travail. Les maladies psychiques augmentent. Il faut donc diminuer le temps de travail et augmenter les effectifs. C’est aussi indispensable pour garantir l’équilibre avec la vie privée, la famille, etc.