À la santé des capitalistes!

de: Guy Zurkinden, rédacteur Services Publics

En pleine pandémie, les 300 plus riches de Suisse ont vu leur patrimoine dépasser les 800 milliards de francs.

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17 milliards de francs sur douze mois, ou deux millions de francs par heure. C’est l’augmentation enregistrée, cette année, par la fortune de l’investisseur schwytzois Klaus-Michael Kühne, actif dans l’hôtellerie, les transports et l’immobilier. Son patrimoine s’élève à 30 milliards de francs, selon les estimations du magazine Bilan, qui a publié la dernière version de son traditionnel classement des 300 plus riches de Suisse [1].
Ce montant impressionnant fait de M. Kühne la deuxième fortune du pays. Il se situe juste derrière les familles Hoffmann, Oeri et Duschmalé, qui pèsent 34 à 35 milliards – 5 milliards de plus que l’année précédente. Ces familles sont les propriétaires du groupe pharmaceutique Roche, dont la valeur boursière a atteint en 2021 300 milliards de francs, un record. À noter que la commercialisation des tests PCR, dont Roche a acquis les droits il y a trente ans, s’est révélée fort lucrative pour ses actionnaires au cours des deux dernières années.
À la troisième place du classement, on trouve Gérard Wertheimer (29 à 30 milliards, +4 milliards), le propriétaire du groupe Chanel. Il est suivi par la famille Joseph Safra (22 à 23 milliards), active dans la banque, l’immobilier mais aussi l’agroalimentaire (groupe Chiquita). Juste derrière, on saluera les Blocher (EMS-Chemie, Dottikon, biscuits Läckerli-Huss), dont la fortune (20 milliards) a fait un joli bond de 4 milliards.

Polluer, ça rapporte

On mentionnera aussi la respectable treizième place obtenue par la famille Bertarelli (13 à 14 milliards). Ernesto Bertarelli, qui a vendu en 2007 le groupe familial Serono et investit désormais dans la santé, la biotech et l’immobilier, se distingue aussi par un train de vie somptuaire aux effets désastreux sur l’environnement. Il figure en bonne compagnie dans le classement de Bilan, où brillent de grandes figures de la destruction de notre planète: le magnat du gaz Guennadi Timtchenko (21 à 22 milliards), le producteur de charbon Andrey Melnichenko (16 à 17 milliards), Ivan Glasenbert, le dirigeant de Glencore (négoce et extraction de matières premières, 5 à 6 milliards), la famille Aponte (Transports MSC, 9 à 10 milliards), les importateurs d’automobiles Martin Haefner (groupe Amag, 4 à 5 milliards) et Walter Frey (3 à 4 milliards), etc. On comprend le peu d’empressement des plus riches à s’attaquer concrètement au réchauffement climatique: pourquoi changer une équipe qui gagne?

On n’arrête pas le progrès!

Le verdict est sans appel: «L’année écoulée est un millésime exceptionnel pour les ultra high net worth [les individus à très haute valeur ajoutée, selon la terminologie utilisée par les banques pour désigner cette clientèle fort intéressante]». Résumons: en 2021, les 300 Suisses les plus riches de Suisse détenaient une fortune estimée à 821,8 milliards de francs. Un record absolu, en hausse de 16,3% sur une année. La fortune moyenne de ces happy few se monte ainsi à près 2,7 milliards de francs. Depuis 1989, elle a plus que quadruplé. À ce rythme, la barre des 1000 milliards sera bientôt un souvenir.
Voilà qui ne manquera pas d’interpeler les 735'000 personnes qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté dans notre pays [2]. Un chiffre qui date de 2019, et a malheureusement très probablement gonflé au cours des deux dernières années – en février de cette année, une étude du KOF indiquait que les personnes à très bas revenu avaient subi une baisse de 20% en moyenne de leurs rentrées financières depuis le début de la pandémie.

Mensonge fédéral

Les derniers chiffres de l’administration fédérale des contributions, portant sur 2018, confirment eux aussi ce trend inégalitaire. En dix ans, la fortune des contribuables helvétiques possédant plus de dix millions de francs a explosé de 108%, pour atteindre 646 milliards de francs. Le nombre de ces multimillionnaires a augmenté de 95% par rapport à 2008, s’élevant à 17'140.
Tout cela se traduit par un renforcement de la concentration des richesses: en 2018, 6,1% des contribuables helvétiques détenaient 68,3% de la fortune déclarée; le 0,3% les plus riches en détenaient même 32%. Tandis que 23,6% de la population ne disposait d’aucune fortune, 31% une fortune d’au maximum 50 000 francs.
Il y a quelques mois, le conseiller fédéral UDC Maurer, lancé comme une balle contre l’initiative 99% de la Jeunesse socialiste, pérorait sur la «répartition très égale des richesses dans notre pays». Et malgré cet ahurissant mensonge, personne n’est venu lui sonner les cloches.


[1] Bilan, décembre 2021.
[2] OFS, 18 février 2021.