Vers un gymnase plus élitiste?

de: Philippe Martin, secrétaire central SSP

La révision en cours de la maturité gymnasiale pourrait avoir des conséquences importantes pour les enseignant-e-s et les élèves. Décryptage.

Photo Eric Roset

Lancé au niveau fédéral en 2018, le projet «Évolution de la maturité gymnasiale» vise à revoir les textes de référence pour la formation gymnasiale: le Plan d’études cadre (PEC) et le règlement/l’ordonnance sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale (RRM/ORM). La Commission fédérative Formation, éducation et recherche du SSP a pris position dans le cadre d’une première phase de consultation — à notre avis beaucoup trop restreinte — sur les modifications du RRM/ORM [1].

Combattre les inégalités

La révision laisse largement de côté la thématique des inégalités dans l’accès aux écoles de maturité (appelées, selon les cantons, gymnases, lycées ou collèges). Seul un vague article est introduit, sous le titre très discutable d’«équité des chances». Des mesures concrètes doivent au contraire être prévues pour combattre les inégalités.

Comme le rappelle le professeur de sociologie Daniel Oesch, «le gymnase est extrêmement ségrégatif et anticipe la stratification sociale sur le marché du travail» [2]. Par ailleurs, les taux d’obtention de la maturité diffèrent énormément entre les cantons (de 12,5% pour Glaris à 34,2% pour Genève, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique pour 2018). Daniel Oesch estime qu’«augmenter la proportion de maturité au niveau de la Suisse latine (25 à 30%) serait bénéfique pour de nombreux jeunes et entreprises» et «améliorerait également l'égalité des chances» [3]. Les Académies suisses des sciences rappellent quant à elles que «notre société du savoir et de l’information» a besoin de personnel hautement qualifié.

Pour notre syndicat, l’objectif d’une démocratisation des études reste pleinement d’actualité. Ce n’est pas cette direction que prennent les responsables du projet, en proposant des conditions supplémentaires pour la réussite de l’examen de maturité. Et les milieux patronaux veulent aller encore plus loin. La faîtière patronale Economiesuisse ne se contente pas de militer farouchement contre une augmentation des taux de maturité, elle demande aussi un durcissement des critères de réussite, fidèle à sa propagande selon laquelle la maturité serait «trop facile» [4].

Pas de spécialisation précoce. L’article qui décrit les objectifs des études gymnasiales (article 5 RRM/ORM) précise notamment que les écoles de maturité «évitent la spécialisation ou l’anticipation de connaissances ou d’aptitudes professionnelles». Si l’article n’est formellement pas modifié, nous constatons que plusieurs propositions reviennent à contourner ce principe ou à le vider de son sens.

C’est tout particulièrement le cas de la disposition qui structurerait en deux phases la formation gymnasiale: un tronc commun de deux ans, suivi d’une «phase d’approfondissement» de deux ans supplémentaires. Une telle structuration s’inscrit clairement dans une logique de spécialisation et d’individualisation précoce des parcours, logique qui aboutit à considérer le gymnase comme un premier échelon du parcours professionnel. Nous y sommes fortement opposé-e-s.

Surcharge des cursus. Nous observons par ailleurs que l’ajout et le renforcement de plusieurs disciplines ou compétences transversales ont pour conséquence d’alourdir encore la grille horaire. L’ensemble du projet est ainsi marqué par une tendance à «charger le bateau», qui finit par perdre de vue le principe de réalité. La formation gymnasiale ne peut s’acquérir par un simple survol des matières. Un émiettement des savoirs est clairement contraire à l’acquisition d’une culture générale solide.

La question de la grille horaire renvoie également à celle de la charge pour les élèves: lorsqu’elle devient trop importante, il ne leur est plus possible de suivre dans de bonnes conditions l’ensemble du cursus. À l’heure actuelle déjà, même des élèves qui font preuve d’une grande facilité doivent faire des choix et négligent ainsi certaines disciplines et/ou renoncent à toute activité extrascolaire. S’il est nécessaire d’avoir suffisamment de temps pour proposer une formation de qualité (offre publique d’enseignement bien dotée), il est également indispensable de laisser aux jeunes du temps pour «respirer» et se consacrer à d’autres activités.

Un gymnase, pas une entreprise

Le SSP a toujours lutté contre l’introduction dans les services publics d’une gestion s’inspirant de celle des entreprises privées. Nous ne voulons pas de «managers» d’école et nous combattons les tentatives, plus ou moins larvées, de mettre en concurrence les établissements, voire les enseignant-e-s. C’est dans cet esprit que nous demandons la suppression du nouvel article, intitulé «assurance et développement de la qualité». L’«assurance qualité» est d’abord une couche bureaucratique supplémentaire. Du temps et de l’énergie sont dépensés pour s’assurer que l’entreprise/ l’établissement «remplit les critères», aux dépens d’une véritable préoccupation sur la qualité. De plus, les «plans qualité» peuvent devenir des outils au service des directions et/ou des autorités pour standardiser les pratiques, limiter l’autonomie pédagogique et renforcer les pressions sur le corps enseignant.


Durée des études

Quatre ans au moins dans tous les cantons!

La réglementation actuelle prévoit quatre années au minimum de formation gymnasiale, mais autorise un cursus de trois ans «lorsque le degré secondaire I comporte un enseignement de caractère prégymnasial». Certains cantons romands (Jura, Neuchâtel, Vaud et la partie francophone du canton de Berne) font usage de cette exception.

Pour des raisons pédagogiques, le SSP est favorable à une durée minimale de la formation gymnasiale de quatre ans.

Dans les cantons où cela implique un changement, il ne saurait être question de diminuer d’une année la scolarité obligatoire, en considérant que les quatre années de gymnase commencent après dix ans d’école (au lieu des onze actuels).

Bien sûr, il ne peut s’agir «simplement» d’ajouter une année, sans avoir une réflexion sur ce qui doit être fait de ce temps supplémentaire. Cette réflexion doit porter sur l’ensemble du cursus scolaire. L’ajout d’une quatrième année de formation implique en outre l’adaptation des mesures de soutien (bourses d’études, etc.) afin que les aspects financiers ne soient pas un obstacle pour les familles.


[1] Le texte complet est disponible sur https://ssp-vpod.ch/matu2023

[2]Tages Anzeiger, 30 août 2021.

[3] NZZ, 2 mars 2021.

[4] NZZ am Sonntag, 22 août 2021.