L’AVS, champion de la redistribution

de: Guy Zurkinden, rédacteur et Hans Peter Renk, membre SSP

Une récente étude démontre que la première assurance sociale du pays est aussi le plus important instrument de redistribution des richesses du pays. Ce qui explique l’animosité de la droite à son encontre.

photo Valdemar Verissimo

L'AVS est « la branche la plus importante du système suisse des assurances sociales », reconnaît l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) [1]. Arrachée par la lutte du mouvement ouvrier (lire ci-contre), l’AVS est aussi le principal outil permettant de redistribuer (un peu) les richesses dans notre pays, souligne une étude récente publiée dans la revue Social change in Switzerland [2]. C’est une des raisons principales de l’acharnement de la droite à son égard.

Les chercheurs ont décortiqué, dans six cantons regroupant les 40% de la population helvétique (Argovie, Berne, Lucerne, Saint-Gall, Valais, Genève), les données concernant les trois principaux instruments de répartition des revenus, soit: les biens publics (éducation, infrastructures, etc.) financés par l’impôt direct; les assurances sociales apportant une protection en cas de chômage, de vieillesse ou de maladie ; et les prestations sous condition de ressources octroyées aux personnes les plus modestes (aide sociale, prestations complémentaires, réduction des primes d’assurance maladie, etc.).

Inégalités réduites de 25%
Premier constat: le système fiscal et les prestations sociales ont un impact positif sur les revenus d’une majorité de la population. 60% des actives et actifs touchent plus de prestations qu’ils-elles ne paient d’impôts. Les transferts sociaux (assurances sociales et prestations sous condition de ressources) permettent même aux 10% les plus pauvres de doubler leur revenu disponible (de 10 045 à 26 200 francs par an en moyenne). En haut de la pyramide, l’effet est inverse: une fois déduits les impôts et prestations sociales, le revenu disponible des plus riches descend (de 167 580 à 144 965 francs). Les mécanismes de redistribution permettent ainsi de réduire d’un quart (26%) les inégalités de revenus.

L'AVS contre les inégalités
Ce sont ici les assurances sociales (avant tout l’AVS et l’AI) et les prestations sous condition de ressources (aide sociale et prestations complémentaires) qui jouent les premiers rôles: ces transferts sociaux représentent 70% de l’effet redistributif total. En « fournissant un revenu à une partie de la population active qui, sans ces prestations, n’en aurait quasiment aucun (survivants, invalides et personnes concernées par la pauvreté), l’AVS et l’AI réduisent fortement les inégalités », souligne l’étude.

C’est cependant à la retraite que l’AVS déploie tous ses effets. Pour 70% de la population retraitée, la moins bien lotie, la part des revenus provenant de l’AVS est ainsi plus élevée que les rentes versées par les caisses de pension (LPP). Un chiffre qui illustre « l’importance fondamentale de l’AVS pour la prévoyance vieillesse ». Pour les 15% les plus pauvres, les rentes AVS représentent 30% à 75% des revenus – contre 2 à 4% pour le 2e pilier. À contrario, plus le revenu augmente, plus la part des rentes AVS recule – tandis que celle de la LPP gagne en importance. Pour les 5% les plus riches, ce sont les revenus de la fortune qui jouent le rôle majeur.

Les riches n’aiment pas l’AVS
« L’AVS a un fort effet redistributif dans la mesure où les cotisations sont calculées en fonction de pourcentages du revenu salarial. Cependant, le versement est plafonné à une rente maximale », soulignent les auteurs. Avec une conclusion imparable: « Les personnes les plus riches contribuent donc davantage au financement de l’AVS qu’elles n’en bénéficient. » Les milieux bourgeois sont tout à fait conscients de cette réalité. Leur principal porte-voix en Suisse, la NZZ, déplorait récemment que les cotisations payées sur la part du salaire excédant 85 000 francs « n’augmentent pas les rentes des personnes concernées, mais subventionnent les rentes des autres assurés. Il s’agit ici donc en fait d’impôts supplémentaires pour les personnes qui touchent des revenus élevés (…) »[3]. On comprend mieux la campagne permanente menée par ces milieux contre la première assurance sociale du pays. En attaquant l’AVS, c’est le principal mécanisme de redistribution des richesses en Suisse qu’ils veulent affaiblir.

Guy Zurkinden, rédacteur du journal Services Publics

Rétroviseur

Le long fleuve (pas si tranquille) de la création de l’AVS
Le thème d’une assurance vieillesse et survivants (AVS) avait commencé à être discuté en Suisse dans les années 1880-1890. Sans doute était-ce dû à l’influence du IIe Reich allemand, où le chancelier Bismarck avait introduit des assurances sociales pour mieux contrer le mouvement ouvrier qui les revendiquait.

La création d’une assurance vieillesse et invalidité figurait comme septième point du cahier de revendications lancé par le comité d’Olten (regroupant le PS et l’USS) en novembre 1918, lors de la grève générale.

Une première initiative populaire fut déposée en 1919, mais refusée en 1925 par une majorité du peuple et des cantons. Toutefois, le 6 décembre 1925, une votation populaire accepta un article constitutionnel sur l’AVS. Un premier projet élaboré par le Conseil fédéral fit l’objet d’un référendum. Il fut à nouveau refusé par une majorité du peuple et des cantons en 1931.

La loi portant création de l’AVS – votée par les Chambres fédérales en 1946 – fut finalement acceptée en votation populaire le 6 juillet 1947, à la suite d’un référendum lancé notamment par les libéraux romands et l’Union centrale des associations patronales, par 862 000 voix contre 215 000 (les femmes n’avaient alors pas le droit de vote).

Cette votation s’est déroulée dans une ambiance fort peu consensuelle. Qu’on en juge par ces deux exemples.

Sans doute fervent lecteur de l’ouvrage La route vers la servitude, commis en 1944 par l’économiste libéral Friedrich August von Hayek (l’un des fondateurs de la Société du Mont-Pèlerin, en 1947), Hans Sulzer (président du Vorort, principale faîtière patronale de l’époque) estimait que la création d’assurances sociales comme l’AVS était « une première étape vers la dictature » (!).

Le métallurgiste Jakob Dübi (doyen d’âge du Grand Conseil bâlois) déclarait en mai 1947: « Avec mes soixante-douze ans, je n’ai jamais manqué une heure à l’établi malgré l’hiver froid que nous venons de passer, même si mes vieux membres qui souffrent de rhumatismes auraient souvent eu besoin de repos et de soins. Mais le repos sans revenu, ce n’est pas bon non plus pour la santé. (…) Je ne suis que l’une de ces 260 000 personnes âgées de notre pays qui attendent avec beaucoup d’espoir la création d’une assurance vieillesse et survivants ».

Hans-Peter Renk, Membre du SSP Région Neuchâtel


[1] https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ahv/donnees-de-base-et-legislation/sens-et-but-de-l-avs.html

[2] Olivier Hümbelin, Rudolf Farys, Ben Jann, Olivier Lehmann: La redistribution par les impôts et transferts sociaux en Suisse. Social change in switzerland N°28, décembre 2021.

[3] NZZ, 12 février 2022.