«Ils nous battaient, nous traitant de singes»

de: Guy Zurkinden, rédacteur Services Publics

Depuis plusieurs mois, des dizaines de réfugiées et réfugiés se mobilisent contre la décision du SEM de les renvoyer vers la Croatie, un pays où ils ont subi violences et tortures.

Photo Eric Roset

Dans la petite salle, une quarantaine de personnes sont assises. Les visages sont attentifs, souvent tendus. Une majorité des personnes présentes sont originaires du Burundi. Il y a aussi quelques réfugié-e-s afghan-e-s, ainsi que l’équipe de soutien du collectif Droit de Rester. Sur deux ordinateurs, des visages suivent la discussion à distance. L’émotion monte lorsque celui de Bosco surgit sur les écrans. Un de ses ami-e-s prend la parole: «Bosco, tu as été expulsé comme un criminel. Sache que toute notre équipe t’aime beaucoup. Sois fort et essaie de te battre. Demain sera meilleur». Bosco vient d’arriver à Zagreb, la capitale de la Croatie. Il y a quelques jours, une dizaine de policiers l’ont menotté et emmené hors du centre fédéral de la Gouglera, situé dans le canton de Fribourg. Ils l’ont ensuite placé de force, seul, dans un avion. Destination: Vienne, puis Zagreb.

C’est ce destin que veulent éviter les réfugiées et réfugiés réunis ce 28 janvier à Fribourg. Depuis plusieurs mois, ils se mobilisent contre la décision du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) de les renvoyer vers le pays où ils ont été battus, humiliés et torturés: la Croatie. Deux membres de ce collectif: Albert* et Josette*, ont accepté de nous confier un bout de leur histoire.

Quel a été votre parcours avant d’arriver en Suisse?

Albert – J’ai quitté le Burundi avec mon épouse car j’y étais victime de menaces – dans notre pays, la situation politique est très instable. Nous avons pris un vol pour la Serbie puis avons gagné la Bosnie, avant d’essayer de passer en Croatie. Lors de notre première tentative, nous avons été refoulé-e-s par la police croate. La deuxième fois, cela a été pire.

Josette – J’ai aussi quitté le Burundi, où je suivais des études, pour des raisons de sécurité. Je n’avais jamais imaginé ce qui m’attendait en Europe.

Que s’est-il passé à la frontière bosno-croate?

Albert – La deuxième fois que nous avons essayé de passer, mon épouse et moi avons été torturés. Les policiers nous ont roués de coups. Ma femme, enceinte, a été frappée violemment au ventre par un policier. À cause de cela, elle a perdu son bébé.

À notre troisième tentative, nous avons réussi à passer en Croatie. Cette fois, les policiers nous ont amenés dans une ville proche de la frontière, où ils ont pris de force nos empreintes digitales. Ensuite, un agent m’a demandé de signer un document rédigé en croate. Quand je lui ai dit que je voulais d’abord savoir ce qui était écrit sur la feuille, le policier m’a frappé au visage. Puis il m’a obligé à signer. Je ne savais pas que les policiers étaient aussi brutaux en Europe.

Josette – Les policiers croates refoulent les réfugiés, même ceux qui ont des bébés. Avec notre groupe, nous sommes restés deux jours et deux nuits dans la forêt, sous la pluie, sans rien à manger. Les policiers ont pris nos téléphones et nous ont barré le passage. Ils nous insultaient, nous traitaient de singes.

Quand tu refuses de retourner en Bosnie, les policiers te font des choses qui te donnent envie de mourir. J’ai été frappée et jetée par terre. Ensuite, ils ont approché de mon visage leurs gros chiens qui aboyaient, jusqu’à ce que je perde connaissance. Au commissariat, j’ai aussi dû donner mes empreintes. Je n’ai pas eu le choix, car les policiers menaçaient de me renvoyer dans la forêt.

Quelle est votre situation aujourd’hui en Suisse?

Albert – La majorité d’entre nous ont reçu une réponse négative à leur demande d’asile. Le SEM affirme que nous avons demandé l’asile en Croatie, ce qui est faux. Il exige que nous retournions dans ce pays où nous avons été torturés.

L’autre chose qui traumatise les requérants d’asile – quelle que soit leur nationalité – qui se trouvent dans les centres fédéraux d’asile, c’est la manière dont les policiers suisses nous arrêtent, parfois en usant de ruses, et nous renvoient vers la Croatie.

Josette – le SEM veut me renvoyer en Croatie. Ses employé-e-s affirment que mes motifs d’asile ne les convainquent pas. J’ai fait recours au Tribunal administratif fédéral, mais il s’est aligné sur la position du SEM. Mais je ne veux pas retourner en Croatie.

Quelles demandez-vous aux autorités suisses?

Albert – Nous exigeons la fin des déportations vers la Croatie. Les conventions de Genève et la Constitution fédérale interdisent d’expulser un réfugié vers un pays où a été torturé. Le SEM devrait appliquer ces textes, plutôt que d’invoquer le règlement Dublin pour justifier notre renvoi.

Que nous soyons originaires du Burundi, d’Afghanistan ou d’ailleurs, nous sommes unis pour nous battre contre ces renvois Dublin. Nous manifesterons à Berne le 4 février, puis continuerons notre combat.

Josette – Le SEM veut que je sois renvoyée dans les six mois en Croatie. Mais je continuerai à me battre contre cette décision avec les autres personnes concernées.

*Prénoms d’emprunt

Non aux renvois Dublin vers la Croatie !

Manifestation

Samedi 4 février, 14 h 15

Berne, Place fédérale


Unis contre les renvois vers la croatie

Passages à tabac, humiliations, vols, agressions sexuelles, menaces, poursuites avec des chiens, insultes racistes. Depuis des mois, les témoignages de réfugié-e-s illustrent la violence des refoulements illégaux pratiqués par les garde-frontières croates. L’an dernier, ces «pushbacks» ont été dénoncés par la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité européen pour la prévention de la torture.

L’ONG suisse Solidarité sans frontières s’est rendue en Croatie afin de réaliser un rapport sur la question. Elle est arrivée à la conclusion que le risque de «pushback» est réel en Croatie, et que les personnes concernées risquent fort de ne pas pouvoir exercer leur droit à une procédure d’asile équitable. En renvoyant des réfugié-e-s vers la Croatie, la Suisse menace ainsi de violer le principe de non-refoulement.

Le SEM persiste pourtant dans sa volonté d’expulser des centaines de réfugié-e-s vers la Croatie, en vertu des accords de Dublin. Les migrant-e-s menacé-e-s s’organisent avec le soutien des collectifs Droit de Rester (Suisse romande) et Migrant Solidarity Network (Berne). Ils et elles demandent au Conseil fédéral de stopper les renvois vers la Croatie et d’activer la clause de souveraineté du règlement Dublin, qui permet à un pays de traiter les demandes d’asile des personnes même lorsque celles-ci ont été interceptées ailleurs sur le sol européen. En décembre, une pétition de soutien munie de 6500 signatures a été déposée à Berne. Le 4 février, ces revendications seront relayées au cours d’une manifestation nationale.