La finance contre le bien commun

de: Guy Zurkinden, rédacteur «Services Publics»

«209 milliards de francs. C’est le risque cumulé que la collectivité doit prendre pour sauver le Credit Suisse (…) Ce montant dépasse non seulement la dette totale de la Confédération de 120 milliards, mais aussi le plan de sauvetage de l'UBS de 2008» (NZZ, 21 mars 2023). Dans l’opération, ce donc les contribuables qui risquent de payer les pots cassés.

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Les salarié-e-s de l’ex deuxième banque de Suisse ont aussi de quoi s’inquiéter: 13 000 d’entre elles et eux sont menacés de licenciement.
Les managers de la banque, en revanche, peuvent dormir sur leurs deux oreilles: ils ne seront très probablement jamais condamnés par la justice – pas plus que ne l’ont été les boss de Swissair en 2001, ou ceux d’UBS en 2008. Et ils pourront garder la grande majorité des 32 milliards de bonus empochés depuis 2013.

L’annonce du sauvetage de Credit Suisse a été faite par le président (PS) de la Confédération, Alain Berset, et la ministre des Finances (PLR), Karin Keller-Sutter (KKS) – entouré-e-s de représentants d’UBS, de Credit Suisse, de la BNS et de la Finma. Quelques mois plus tôt, le même conseiller fédéral Alain Berset s’était battu pour élever l’âge de la retraite des femmes. Motif invoqué: l’argent manquerait pour financer l’AVS. Quant à Karin Keller-Sutter, elle annonçait en février que l’Etat doit se serrer la ceinture, notamment en coupant dans les rentes de veuves. Dans le cas de Credit Suisse et UBS, ces chantres des caisses vides ont allongé fissa les milliards. Pour l’Etat helvétique, les banques passent loin devant la population.

Selon KKS, l’absorption de Credit Suisse par UBS, garantie par les fonds publics, représenterait une «solution durable et porteuse d’avenir» . Pour les étages supérieurs du paradis fiscal helvétique, cela ne fait aucun doute: piloter une banque spécialisée dans la fraude et l’évasion fiscale, la spéculation à outrance et le blanchiment d’argent restera une activité hautement rentable, protégée par une Casco complète de l’Etat.

Pour le commun des mortels, en revanche, l’émergence de ce nouveau géant bancaire est un signal inquiétant. Dans les pays du Sud d’abord, où des millions de personnes sont spoliées depuis des décennies par les pratiques parasitaires de Credit Suisse, d’UBS et consorts.
En Suisse ensuite, où des dizaines milliers de salarié-e-s font déjà les frais des cadeaux fiscaux à répétition à la place financière, qui se traduisent par le démantèlement des services publics et des assurances sociales. Une situation qui risque d’empirer: «La privatisation des profits et la socialisation des pertes de cette ´Monsterbank ´ vont peser sur les finances publiques», indique l’économiste Sergio Rossi .

Au niveau de la planète enfin, car les investissements massifs des grandes banques suisses dans les énergies fossiles contribuent de manière significative au réchauffement global.

Le pouvoir concentré par une banque «systémique» comme UBS représente donc une menace pour le bien commun. Pour lui faire face, syndicats et mouvements sociaux pourraient travailler à une large mobilisation autour de quelques revendications communes: l’interdiction à UBS de licencier et de verser des dividendes; le contrôle de la banque, qui bénéficie de fait d’une garantie d’Etat, par les pouvoirs publics et les salarié-e-s; et la fin de la politique de dumping fiscal qui a fait de la Suisse un paradis pour les prédateurs capitalistes du monde entier.