«Nous devons frapper vite et fort»

de: Interview de Guy Zurkinen, rédacteur

En France, le 19 janvier, les syndicats donneront le coup d’envoi de la résistance, qui s’annonce massive, contre le relèvement de l’âge de la retraite. Questions à Nara Cladera, enseignante et militante de l’Union syndicale Solidaires.

Photothèque rouge : Martin Noda et Hans Lucas.

Que prévoit le plan de réforme du régime des retraites présenté par le gouvernement Macron?

Nara Cladera – Il prévoit le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite, qui passerait progressivement de 62 à 64 ans, et accélère la hausse (déjà prévue) de la durée de cotisation nécessaire pour toucher sa retraite sans pénalité – celle-ci passerait à 43 annuités (au lieu de 42) à l’horizon 2027. En parallèle, le projet veut faire disparaître certains régimes plus favorables aux salarié·e·s – notamment chez EDF, Gaz de France, à la RATP et à la Banque de France.

Globalement, ce projet vise à nous faire travailler plus longtemps et à casser un système de retraites basé sur la répartition et la solidarité intergénérationnelle – ce que tentent de faire tous les gouvernements depuis 1995.

Sa mise en œuvre représenterait un bond en arrière. Il faut en effet rappeler qu’en 1982, sous la présidence de François Mitterrand, l’âge de la retraite avait été fixé à 60 ans (contre 65), pour 37,5 annuités. Cette avancée était le fruit d’une volonté politique visant à augmenter l’espérance de vie en bonne santé et à réduire les problèmes de santé.

Aujourd’hui, c’est le contraire. Le gouvernement veut nous voler des années de vie en bonne santé. Sa réforme est particulièrement injuste, car l’espérance de vie varie énormément selon la situation sociale. Aujourd’hui en France, 25% des salarié·e·s les plus pauvres sont déjà mort·e·s à l’âge de la retraite!

Le gouvernement affirme que ses mesures sont indispensables pour garantir le financement du système…

Cet argument financier est un mensonge. Même le conseil d’orientation des retraites (COR), une instance de consultation mise sur pied par l’Etat en 2000, indique, dans un rapport publié en septembre, que le financement du système de retraites ne pose pas de problème. D’ailleurs, si on prend compte l’évolution de l’ensemble des richesses produites en France (mesurée par le PIB), on se rend compte que la part des dépenses de retraites est en baisse. De surcroît, l’argent ne manque pas pour financer les assurances sociales: au 2e trimestre 2022, les entreprises françaises cotées au principal indice boursier du pays, le CAC 40, ont augmenté de 32,7% le montant des dividendes versés à leurs actionnaires!

Quel est alors l’objectif de cette réforme?

Nous sommes face à un véritable enjeu de société! L’élévation de l’âge de la retraite est l’expression d’une politique menée au service du patronat et des riches. Avec un double objectif: nous faire travailler plus longtemps pour augmenter les profits versés aux actionnaires; et casser le système de retraite actuel, basé sur la répartition et la solidarité, pour imposer la retraite par capitalisation – qui représente une gigantesque manne pour les milieux financiers. S’il passe, le projet du gouvernement multipliera les problèmes de santé des salarié·e·s et alimentera le chômage des jeunes, renforçant ainsi un système capitaliste toujours plus mortifère.

Défendre le système des retraites et l’avancement du départ à la retraite (à Solidaires, nous sommes pour le retour à la retraite à 60 ans), c’est au contraire défendre la vie et sa qualité.

Comment se présente la contestation syndicale face au projet porté par la première ministre Elisabeth Borne et le président Emmanuel Macron?

Tout indique que nous nous trouvons à la veille d’un gros mouvement social.

D’abord, parce qu’on a assisté à un appauvrissement généralisé de la population ces dernières années, ce qui alimente la colère.

Ensuite, parce que l’ensemble des huit grands syndicats, de la CFDT à Solidaires, s’opposent au projet du gouvernement Macron. C’est la première fois depuis 2010 que nous présentons un front uni!

Du côté des lieux de travail, les échos sont très intéressants. Nous avons l’impression que, lors de la première journée de grève, le 19 janvier, le mouvement sera massif dans tous les secteurs. Pour prendre un exemple: dans ma région, les Pyrénées, les salarié·e·s d’une usine de cellulose s’apprêtent à faire grève. C’est la première fois depuis que je me suis installée ici, il y a 22 ans!

Pour la suite, l’Intersyndicale discutera le 19 au soir d’une nouvelle date de mobilisation, probablement le 24 janvier. On sait en effet qu’on ne fera pas plier le gouvernement avec une seule journée de grève: le rapport de forces devra continuer.

En face, le gouvernement veut aller vite…

Le gouvernement veut imposer son projet avant l’été. Il le présentera le 23 janvier au conseil des ministres, avant d’arriver à l’assemblée nationale, le 6 février, avec un temps de discussion limité à 50 jours – sans oublier la possibilité d’utiliser le 49.3 pour imposer le projet sans votation. Face à ce timing serré, nous devons taper vite et fort (Propos recueillis le 15 janvier).