«Comment l’université broie les jeunes chercheurs»

Entretien avec la chercheuse Adèle B. Combes, qui a récemment publié une enquête importante sur le harcèlement au sein des universités. Elle sera à Lausanne le 29 mars.

Invitée par le SSP, Adèle B. Combes sera à Lausanne le 29 mars pour nous parler de son livre, Comment l’université broie les jeunes chercheurs. Précarité, harcèlement, loi du silence (Paris, Autrement, 2022). Trois récits de vie, complétés par des récits plus succincts et des données statistiques, composent ce livre. Ils se déroulent dans des universités françaises mais des témoignages similaires existent aussi en Suisse. Dans cet ouvrage qui fait l’effet d’un coup de poing, Adèle B. Combes égraine dans le détail les successions d'agressions physiques ou verbales vécues par les protagonistes durant leur thèse. L’inertie des victimes, mais aussi des personnes qui sont témoins ou spectatrices de propos et de gestes déplacés, conduit à une montée en puissance du harcèlement moral et/ou sexuel. On comprend rapidement que témoins et victimes réagissent souvent trop tard, lorsque les propos et les actes sont allés tellement loin que les efforts à produire pour faire cesser le harcèlement sont démesurés.

Qu’est-ce qui a bien pu motiver une docteure en neurobiologie à s’aventurer dans la rédaction d’un tel ouvrage?

Certes, je ne suis pas diplômée de sociologie, mais j'avais une expérience professionnelle liée à l'enquête car après mon doctorat j'ai travaillé comme cheffe de projet scientifique en communication en santé et j’ai été amenée à créer des questionnaires et à conduire des entretiens avec des patient·es. Quand j'ai quitté le monde de la recherche, j'ai réalisé que ce que j'avais pu observer ou vivre dans mon laboratoire durant mon doctorat, n’était pas un phénomène rarissime, ni exceptionnel comme je l’avais longtemps pensé.

J’avais décidé dès le début de faire à la fois des entretiens et une enquête chiffrée pour mettre les témoignages en perspective. Mon but était d'aller au plus proche des gens, j’ai trouvé leurs récits extraordinaires, hallucinants. Évidemment, chaque expérience est unique, chaque personne derrière les chiffres est unique, mais on peut quand même identifier des mécanismes communs, des souffrances communes. Outre les faits vécus, j’ai aussi interrogé les personnes sur l’interprétation qu’elles leur avaient donnée sur le moment et sur leurs émotions. Cela m’a permis de comprendre l'évolution de leur santé mentale car quand vous avez l'impression de ne plus être la même personne (ce qui n’est pas rare), que vous ne vous reconnaissez plus, il est presque naturel de « vriller » un moment. Il faut pouvoir obtenir de l’aide. Grâce au format de la non-fiction narrative j’ai pu allier les aspects littéraire et émotionnel dans la restitution des témoignages.

Comment les universités doivent-elles gérer les cas de harcèlement?

Il y a souvent une opposition – je généralise pour les besoins de l’interview – entre les personnes qui ne veulent pas aborder ces sujets-là sous prétexte que cela nuirait à l'image de l’institution et l'image, c'est l'attractivité, c'est l'argent. Mais il y a aussi des personnes qui considèrent qu’avec le mouvement #MeToo, on sait qu'il y a des violences sexuelles, sexistes et psychologiques dans le cinéma, en politique, dans le sport, dans tout milieu où il y a des forts enjeux de pouvoir avec peu de contre-pouvoir, avec des difficultés pour faire valoir ses droits. La recherche, malheureusement, c'est encore un milieu avec beaucoup de jeux de pouvoir. Il n’est donc pas étonnant qu'il y ait des problèmes. Le reconnaître, ce n'est pas quelque chose qui va nuire à l'image d’une université, au contraire. Quand on décide de prendre ce problème à bras le corps, de mettre à pied des personnes, de faire des enquêtes – même si ce sont des personnes haut placées et influentes – on donne vraiment la parole aux potentielles victimes.

Quels objectifs poursuiviez-vous en publiant ce livre?

J’ai écrit mon livre pour donner la parole à d’autres pour réfléchir à des pistes de solution et ouvrir une brèche. J’ai considéré que cela pouvait être utile pour les personnes en master ou en début de thèse pour qu’elles sachent que cela existe et leur donner des armes, si jamais des événements similaires se produisent, pour arriver à les percevoir et empêcher que des mécanismes de harcèlement ne s’installent durablement. Je pense que la libération de la parole est très importante mais à terme, les choses peuvent changer et il faut faire preuve de vigilance car on peut très facilement perdre les acquis.


Adèle B. Combes viendra présenter son livre lors d’une tournée en Suisse romande, à l'invitation du SSP. Elle donnera une conférence suivie d’une table ronde à Lausanne le mercredi 29 mars à 18h00, à l'Espace Dickens (av. Dickens 4).

Sexual Harassment Awareness Day

Le bureau de l’égalité de l’Université de Lucerne coordonne le projet « Campagnes de lutte contre le harcèlement sexuel dans les hautes écoles suisses », financé par swissuniversities. La première édition du Sexual Harassment Awareness Day aura lieu le 23 mars 2023 et la campagne sera déployée dans différentes universités et hautes écoles pédagogiques ou spécialisées. Cette journée sera l’occasion de sensibiliser les étudiant·es et le personnel à la problématique du harcèlement sexuel et sexiste et – espérons-le – de libérer la parole. Il est impératif que les Hautes Écoles deviennent des lieux sûrs où les cas de harcèlement ne soient plus tolérés. Depuis, le 8 février 2023, des posts sont régulièrement publiés sur les réseaux sociaux du projet ainsi que sur ceux des institutions qui participent à la campagne. Rendez-vous le 23 mars pour une journée de mobilisation dans vos Hautes Écoles.

Pour obtenir de plus amples informations.