Paroles d'enseignant-e-s
Huit témoignages pour éclairer la réalité du travail d'enseignant-e dans les différents niveaux scolaires.
Devenir membre
Adhérez dès maintenant au SSP. Soutenez nos actions et bénéficiez de »nos prestations.
Journal «services publics»
Services Publics 14-2024
Sarah P., enseignante en 1ère et 2ème primaire
Dans les deux premières années de la scolarité obligatoire, une grande partie de mon enseignement est consacrée à la socialisation et aux apprentissages fondamentaux. Cela demande beaucoup de temps. Il faut en effet parvenir à bien connaître chaque enfant pour entrer dans une relation de confiance qui permette ces apprentissages de base.
Chaque année, de nouveaux et nouvelles élèves arrivent dans ma classe. Elles et ils ont toutes et tous un niveau différent. Certain·e·s ne parlent pas français. D’autres ont des problèmes socio-éducatifs ou des retards cognitifs pour ne citer que ces exemples. La plupart d’entre elles et eux ne sont pas encore connu·e·s du système scolaire et la mise en place des premières mesures d’aide se fait à l’école enfantine. Ce dépistage précoce et ce qui en découle (rencontres, réseaux, etc.) occupe également beaucoup de mon temps. Et du temps, il m’en manque pour faire mon travail correctement. Il m’en manque, car les tâches administratives hors enseignement sont de plus en plus chronophages et surtout il m’en manque car réussir à passer des moments en individuel avec chaque enfant relève de la mission impossible dans une classe de 22 très jeunes élèves.
Françoise A., enseignante au secondaire II dans un gymnase (secondaire II)
À côté des cours que je dispense à mes élèves, je consacre évidemment beaucoup de mon temps aux corrections de travaux et à la préparation de mes cours. En tant que conseillère de classe, je dois aussi être à l’écoute des élèves de la classe dont je suis responsable. Enfin, je m’investis avec énergie dans la vie de mon établissement aux côtés de plusieurs de mes collègues.
Malgré cela, j’ai souvent la désagréable impression que ma direction passe beaucoup de son temps à contrôler si j’ai rendu tel ou tel formulaire, si je l’ai fait dans les temps et à me rappeler à faire attention de ne pas oublier de le rendre dans les temps. Ce sentiment d’avoir à faire à une direction qui semble accorder plus d’importance à nous contrôler et à nous «mettre au pas» pour des questions administratives plutôt qu’à nous soutenir et à nous faire confiance dans l’exercice de notre mission essentielle qui est d’enseigner, me désécurise et rend mon travail d’autant plus difficile.
«j’ai souvent la désagréable impression que ma direction passe beaucoup de son temps à contrôler si j’ai rendu tel ou tel formulaire.»
Christian T., enseignant au secondaire I
J’effectue mon travail au quotidien avec beaucoup d’engagement et de volonté, dans l’idée d’offrir le meilleur encadrement pédagogique possible à mes élèves. C’est ce qui donne du sens à ma profession, je trouve. Et cela se passe souvent bien en classe. Mais lorsque je suis face à des difficultés (situations complexes d’élève, relations tendues,…), on me renvoie souvent à ma seule responsabilité. Je suis seul avec et devant « ma » classe. On me dit parfois aussi, que malheureusement, il n’y a pas de moyens pour cela et donc qu’il faut «faire avec».
Je ne me sens pas suffisamment soutenu par ma hiérarchie et je trouve qu’elle ne reconnaît pas le travail que j’accomplis chaque jour. Le soutien et la reconnaissance de la qualité de mon travail sont pourtant, il me semble, essentiels. Mais, non, ma hiérarchie préfère me rappeler par courriel à mes tâches administratives. La bureaucratie plutôt que l’humain. Nous exerçons pourtant un métier qui ne peut transmettre que par l’humain.
Elodie N., enseignante au secondaire II dans une école professionnelle (système dual)
Les élèves effectuant une AFP (attestation de formation professionnelle) sur deux ans sont presque tou·te·s des apprenti·e·s à besoins particuliers, les classes à effectif réduit permettent d’en tenir compte et c’est bien. Malheureusement, les exigences en matière de nombre de notes par semestre - 6 notes par semestre en culture générale par exemple - et les plans d’études surchargés, nous contraignent à aller parfois trop vite pour certain·e·s élèves et ne laissent que peu de place à des activités différentes et plus concrètes comme une visite du parlement ou d’un tribunal qui permettraient d’embarquer les apprenti·e·s dans des sujets aussi complexes que le droit ou la politique. Par ailleurs, aux niveaux administratif et organisationnel, il est extrêmement compliqué d’organiser une sortie et cela décourage les enseignant·e·s, c’est dommage!
Une des choses que j’aime dans mon enseignement est de pouvoir faire des liens avec l’actualité, malheureusement cela devient de plus en plus difficile à caser dans nos programmes et rend notre enseignement moins attractif. En début d’année, on a plein d’idées d’activités originales à faire avec les apprenti·e·s, on est très motivé·e·s mais plus les jours avancent et plus le stress augmente, la créativité passe à la trappe. La situation dans les classes CFC n’est pas tellement meilleure car le nombre de notes est le même et le programme tout aussi surchargé pour un effectif de classe nettement plus grand et des niveaux très hétérogènes.
«Les plans d’études surchargés nous contraignent à aller parfois trop vite.»
Yasmine M., enseignante en 5ème et 6ème primaire
Cette année, j’ai 21 élèves dans ma classe de 6ème. Trois d’entre eux·elles connaissent des problèmes de comportement qui vont bien au-delà d’une « simple » indiscipline. Ils et elles ont des attitudes violentes, tant dans leurs gestes que dans leurs paroles, luttent contre l’autorité des adultes et sont en échec. Ces élèves en manque de repères risquent le décrochage scolaire. Malgré la mise en place des mesures qu’offre mon établissement (aide à l’enseignante, suivi en réseau), je constate que j’atteins les limites que me permet mon rôle d’enseignante. Et cela m’épuise.
Pour aider efficacement les élèves avec des problèmes socio-éducatifs, la présence d’un éducateur ou d’une éducatrice au sein de mon école me semblerait la mesure la plus adéquate. Il·elle serait d’une grande aide dans l’encadrement de ces enfants et pourrait être de bon conseil pour les enseignant·e·s qui en ont la charge.
Malheureusement, il n’y aucun·e éducateur·rice dans mon établissement.
Benoît P., enseignant au secondaire II dans un gymnase
24, 25, 26 élèves dans ma classe, c’est mon quotidien d’enseignant depuis de nombreuses années. Cela signifie moins de temps pour chaque élève durant les cours (quasi impossible de faire en sorte que chacun·e puisse s’exprimer, impossible de passer du temps vers chacun·e pendant que s'effectuent des exercices écrits). C’est aussi pour moi une démultiplication de temps effarante à devoir faire des corrections chaque semaine, en soirée, en week-end et pendant mes vacances.
Ma direction, elle, qui ne veut pas sembler indifférente à ma surcharge, m’encourage à réduire le nombre d’exercices ou d’évaluations. Mais, je trouve ce discours très critiquable: car ce serait au prix de la qualité de mon enseignement. Alors je continue à corriger mes 26 copies durant mes week-ends et mes vacances…
«Réduire le nombre d’exercices, ce serait au prix de la qualité de mon enseignement.»
Alain G. , doyen dans un établissement du secondaire I
De plus en plus de tâches incombent au décanat, sans pour autant que le nombre de périodes de décharges augmente. On peut notamment constater une augmentation des demandes du département concernant des enquêtes de terrain ou des statistiques. Les tests nationaux (COFO) et internationaux (PISA) s’ajoutent également parfois à notre pensum « ordinaire ». Celui-ci ne cesse d’ailleurs de croître de par la multiplication des réseaux notamment. En effet, nous constatons que de plus en plus d’élèves ont des besoins particuliers et les tâches de coordination ne cessent donc de prendre de l’ampleur.
En tant que doyen, on se retrouve parfois «coincé» entre notre statut d’enseignant, qui fait que l’on est nous-mêmes sur le terrain et donc qu’on comprend parfaitement les problématiques de nos collègues, et notre devoir de loyauté envers la direction et le département, qui nous oblige à appliquer et surtout à faire appliquer des décisions qui ne sont pas les nôtres.
Bernadette L., enseignante spécialisée dans un établissement primaire
Depuis plusieurs années, on privilégie l’intégration d’un maximum d’élèves ayant des besoins spécifiques, dans les classes. Au quotidien, j’assure le soutien à certain·e·s de ces élèves intégré·e·s, en co-enseignement, en soutien individuel ou en petits groupes. Cela est très exigeant au niveau de la coordination et il faut beaucoup de souplesse pour que tout fonctionne. Malheureusement, nous n’avons pas assez de périodes, les maître·sse·s de classe qui signalent des besoins se voient souvent répondre qu’il n’y a plus de disponibilité de notre part ou alors que le soutien sera attribué mais sous la forme d’aides à l’intégration dont ce n’est pas le rôle. Lorsqu’il y a des mesures, elles sont souvent attribuées au compte-gouttes et ne permettent pas d’offrir aux élèves concerné·e·s, un accompagnement adapté. Cela est très frustrant parce que je crois vraiment à une école qui donne une chance à chaque élève, mais je constate que la situation actuelle ne permet pas cela.
En plus de ce manque flagrant de moyens, les procédures administratives sont compliquées et découragent tout le monde, ce qui a pour conséquence que des enseignant·e·s renoncent à demander de l’aide et les besoins sont ainsi sous-évalués. Finalement certain·e·s collègues titulaires de classe se retrouvent face à des élèves en grande difficulté, sans aide adaptée et ne peuvent, malgré leurs efforts, qu’assister à leur décrochage scolaire avec les conséquences psychologiques et comportementales qui l’accompagnent.
«Je crois vraiment à une école qui donne une chance à chaque élève, mais je constate que la situation actuelle ne permet pas cela.»