Violence et force lors de la grève générale de 1918

Contribution de Carole Villiger, historienne.

L’armée occupe le centre de Zurich (9 novembre 1918, collection W. Groenendal - Willi Gautschi, Der Landesstreik 1918, Zurich : Chronos Verlag, 1988, pp. 223-224)

Dans un système démocratique contractuel, les citoyens et les citoyennes acceptent que la violence soit exclusivement employée par l’État. Ainsi, chaque individu ne peut pas se promener dans la rue et régler ses comptes avec un adversaire potentiel comme il l’entend. Les citoyens et les citoyennes consentent donc à un rapport de subordination à l’État qui détient «le monopole de la violence légitime», selon la célèbre formule de Max Weber.

Ainsi, pour défendre le bien commun, défini par un arsenal juridique précis, tout État peut légitimement recourir à la violence, notamment par le biais de ses services de police et de son armée. Le maintien de sa sécurité fait généralement partie des raisons conduisant à l’utilisation de la violence.

Toutefois, dans le discours officiel, l’État ne recourt pas à la violence mais à la force (les « forces de l’ordre »)[1]. La notion de violence est réservée quant à elle aux auteur.e.s des actions considérées comme menaçantes pour la sécurité d’un pays. Dans cette représentation, l’État utilise la force pour maintenir l’ordre et ses adversaires font appel à la violence pour le menacer. La « force » de l’État est donc légitime et tout ce qui s’y oppose est perçu comme de la violence illégitime.

En 1918, alors que les élites politiques suisses étaient animées par un fort sentiment anticommuniste, les acteurs de la grève générale ont été perçus comme particulièrement menaçants pour la sécurité du pays, bien qu’ils n’aient pas recouru à des actions violentes occasionnant des dégâts matériels et/ou humains. La réponse à cette menace présumée a été à la hauteur de la peur: le déploiement des forces militaires dans les rues des villes pour contrer les grévistes perçus alors comme des suppôts du bolchévisme, comme si la Suisse était en état de siège.

La version officielle de l’histoire de la grève de 1918, retient que cette dernière n’a pas été violente puisque les grévistes n’y ont pas recouru. Toutefois, si l’on considère qu’il n’y aurait pas une violence légitime («la force» de l’État) et une violence illégitime (celle des challengers), on peut dire que la grève de 1918 a été violente puisque plusieurs grévistes ont été blessés à Zurich et que trois d’entre eux sont morts sous les coups de l’armée à Granges.

[1] Tilly Charles, The Politics of Collective Violence, Cambridge, Cambridge University Press, 2003.