Quand avez-vous quitté l’Afghanistan?
Arian* – J’ai quitté l’Afghanistan en 2019, après avoir été torturé par les Talibans. Je suis passé par l’Afghanistan, l’Iran, la Turquie. Ensuite, j’ai suivi la route des Balkans jusqu’en Italie, avant de rejoindre la Suisse.
Tout au long de ce trajet, qui a duré deux ans, j’ai subi des violences, parfois des tortures. Et j’ai craint pour ma vie.
Vous avez subi un «push-back» dans la mer Égée. Comment cela s’est-il passé?
Nous étions une petite dizaine de réfugiés sur un bateau parti de Turquie. Les garde-côtes grecs nous ont interceptés alors que nous étions presque arrivés en Grèce. Ils nous ont fait sortir de notre barque et monter sur leur vedette à moteur. Puis ils nous ont amenés dans la mer, côté turc. Ils nous ont alors installés sur un grand matelas gonflable. Lorsqu’ils ont redémarré leur bateau, les vagues nous ont repoussés en direction des côtes turques. Nous n’avons pas eu d’autre choix que plonger et nager en direction de la terre ferme. Heureusement, des garde-côtes turcs nous ont trouvés et recueillis. Sans cela, nous serions probablement morts.
Comment s’est passée la route des Balkans?
Après avoir réussi à entrer Grèce, je suis passé en Macédoine, puis en Serbie. Depuis la Serbie, j’ai essayé durant neuf mois de passer en Union européenne. J’ai tenté de traverser presque toutes les frontières: vers la Roumanie, la Croatie, la Hongrie, la Bosnie. J’ai fait des dizaines de tentatives. À chaque fois, j’ai subi les violences des garde-frontières.
J’ai été attrapé plusieurs fois entre la Serbie et la Roumanie. À chaque fois, les policiers roumains nous enlevaient nos sacs de couchage, nos sacs à dos et nos habits. Ils les brûlaient ensuite devant nous. Ils nous battaient avec leurs matraques en bois et nous insultaient. Ensuite, les agents nous forçaient à marcher longtemps, avant de nous abandonner au milieu de nulle part. Dans le froid, dénués de tout. Nous devions marcher des heures pour arriver à un village.
Une fois, ils nous ont mis à l’arrière d’une camionnette chargée de barrières métalliques. La route était pleine de trous, les barrières s’entrechoquaient et faisaient un bruit infernal. Cela a duré six, sept heures.
Entre la Serbie et la Hongrie, des policiers nous ont pris nos téléphones, puis forcés à nous agenouiller sur la pointe des pieds. Nous avons dû rester comme cela durant des heures. Il faisait froid, moins de 0 degré. Si nous posions les pieds par terre, les agents nous battaient. Durant tout ce temps, ils se moquaient de nous et nous insultaient. Ces policiers n’étaient pas serbes. Certains parlaient allemand, d’autres italiens. Ils nous demandaient, en anglais: «Pourquoi es-tu venu ici?»
Je me suis aussi fait tabasser deux fois par les garde-frontières croates, à coups de poings et coups de pieds. Les policiers croates sont très violents. J’ai vu des personnes qu’ils ont frappées tellement fort qu’elles ont eu les épaules ou les jambes cassées. D’autres sont revenues avec le crâne ouvert.
Comment avez-vous fait pour entrer en Roumanie?
Après des dizaines de tentatives ratées, j’ai réussi à passer en m’accrochant sous un camion qui allait en Roumanie. J’ai passé de nombreuses heures sous ce poids lourd. C’était très dangereux.
Peu après mon arrivée, j’ai été arrêté par des policiers. J’ai d’abord dû passer un test PCR. L’agent qui m’a pris en charge m’a giflé parce que j’avais gardé une main dans la poche. Selon lui, c’était le signe d’un manque de respect.
Les policiers m’ont ensuite mis dans une petite pièce sans toilettes, avec un tout petit peu de nourriture. Le lit était cassé, extrêmement sale et plein de puces. J’ai dû dormir sur le sol métallique, sans couverture. Il faisait très froid. Si je demandais quelque chose, les policiers me criaient dessus et m’insultaient. Les deux jours qui ont suivi, je n’ai rien eu à manger. C’est tout juste si on me laissait aller aux toilettes.
Quand j’ai pu sortir de cette pièce, les policiers m’ont fait attendre toute la journée, de 8 h à 17 h, , sous la pluie. Ils m’ont dit que j’avais le choix: donner mes empreintes ou retourner dans mon pays. Je ne voulais pas demander l’asile en Roumanie, mais je ne pouvais pas dire non. Ils ont relevé mes empreintes.
Une fois enregistré en Roumanie, j’ai essayé de passer vers la Croatie et la Hongrie. Mais cette fois, ce sont les passeurs qui m’ont frappé, car je n’avais pas d’argent pour les payer. Finalement, je me suis caché derrière le chargement d’un camion. J’ai passé deux jours et deux nuits sans manger avant d’arriver en Italie. Puis, j’ai gagné la Suisse.
Il y a des choses que j’ai oubliées, en raison de tout ce que j’ai subi. Ce que je vous ai raconté, c’est une toute petite partie de ce que j’ai vécu. Peut-être les 5%.
«Si Frontex est renforcé, ce sera pire»
Comment s’est passée votre arrivée en Suisse?
Arian – À mon arrivée, on m’a dit que j’allais être expulsé vers la Roumanie en raison des accords de Dublin, car mes empreintes ont été enregistrées en Roumanie. Mais je ne veux pas retourner là-bas. J’y ai subi assez de violences.
Avec le soutien d’associations et de juristes, je me bats pour pouvoir rester en Suisse.
Cela fait près d’une année que je suis ici, mais tout est encore très incertain. Je ne comprends pas pourquoi tout cela dure si longtemps.
En attendant le résultat de mes démarches, je me rends utile en préparant des appartements pour les réfugiés ukrainiens. Ils sont arrivés après moi, mais ils reçoivent tout de suite un permis S, ont droit au regroupement familial et peuvent voyager en Europe. Je ne comprends pas pourquoi on me traite différemment. Moi aussi, j’ai dû quitter un pays en guerre. Il ne devrait pas y avoir de différence selon la couleur de la peau, celle des yeux ou la religion. Tous les réfugiés devraient être mis sur un pied d’égalité.
Le 15 mai, la population suisse votera sur un projet qui veut renforcer Frontex, l’agence européenne de. Qu’en pensez-vous?
Quand je pense à la votation sur Frontex, je pense aux réfugiés qui sont encore là-bas, dans les pays voisins de l’Union européenne. Leur vie est très dure. Ce sont les agents de Frontex et des polices nationales qui les battent, les maltraitent et les empêchent d’entrer. Si Frontex est renforcé, ce sera encore pire pour eux. Entrer en Europe deviendra presque impossible.
*Prénom d’emprunt
Paru dans Services Publics n° 6, 15 avril 2022