Les syndicats face à Frontex

Le renforcement de l’agence Frontex, combattu par le SSP, s’inscrit dans une politique migratoire qui divise et précarise les salarié-e-s.

Pour des milliers d’exilé-e-s qui fuient la guerre, les persécutions et la négation de leurs droits fondamentaux, les frontières extérieures de l’Union européenne sont devenues des zones de non-droit. Assistés par l’agence Frontex, les garde-côtes y pratiquent la chasse aux réfugié-e-s, sur terre comme dans les mers. Ces exactions sont la raison première qui amène les syndicats, dont le SSP, à voter non au renforcement de Frontex.

Bras armé d’une politique

Frontex ne tombe cependant pas du ciel. Il s’agit du «bras armé» de la politique migratoire, hyper-répressive, menée par l’Union européenne. Objectif: décourager l’accès à l’Europe en le rendant de plus en plus périlleux.

La politique migratoire menée par la Suisse est du même tonneau: notre pays applique les accords de Schengen-Dublin qui bétonnent la frontière européenne; continuellement durcie depuis le milieu des années 1980, la Loi sur l’asile est devenue une machine à précariser et expulser les réfugié-e-s; tandis que la Loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) pose des barrières quasiment infranchissables au séjour légal des ressortissant-e-s extra-européen-ne-s – à l’exception des cadres, des travailleurs très qualifiés, des investisseurs, des riches ou des «personnalités» [1].

Cette politique migratoire répressive est justifiée par un discours – et des campagnes politico-médiatiques – présentant les migrant-e-s comme une «menace» multiforme. Il est tenu de la manière la plus virulente par l’UDC, mais largement repris par les autres partis de droite, et gagne y compris des franges de la gauche.

Pas de migrants, pas de Suisse

Ce discours xénophobe escamote une réalité: loin d’être une menace pour la société helvétique, les migrant-e-s en forment un pilier. Au 1er trimestre 2022, la force de travail de nationalité étrangère représentait les 30 % de la population active en Suisse [2]. Sans elle, des pans entiers de l’économie – chantiers, hôpitaux, EMS, industrie, nettoyage, agriculture, soins aux personnes âgées – s’écrouleraient. Il faut ici mentionner les 2 millions de personnes qui triment hors de nos frontières au profit des multinationales ayant leur siège dans notre pays [3].

Mise à part une couche de cadres supérieurs et de spécialistes, les salarié-e-s issu-e-s de la migration gagnent nettement moins que leurs collègues de nationalité suisse – ce que confirme la toute récente Enquête sur les salaires de l’Office fédéral de la statistique [4]. Ils-elles travaillent dans des conditions plus dures, sont plus souvent touché-e-s par la précarité et reçoivent des rentes plus basses. Sans oublier les dizaines de milliers de travailleurs-euses sans-papiers surexploité-e-s en raison de leur absence de titre de séjour.

On trouve dans cette précarité imposée l’une des conséquences de la politique migratoire hyper-restrictive appliquée par la Suisse (et l’Union européenne): en précarisant des centaines de milliers de personnes, elle fournit une main-d’œuvre corvéable à merci aux patrons qui les sous-paient et aux nantis qui économisent ainsi d'importantes sommes d'impôts.

Des piliers pour les syndicats

Les salarié-e-s issu-e-s de la migration jouent aussi un rôle de premier plan au sein des syndicats. On les trouve souvent aux avant-postes des luttes visant à améliorer les conditions de travail et de salaire. Au sein du SSP, elles et ils ont été des acteurs importants des grèves menées ces des dernières années au CHUV, à l’Hôpital fribourgeois, dans l’Etat de Vaud, lors de la Grève féministe ou au sein des mobilisations pour les retraites.

C’est justement quand elles réussissent à réunir un maximum de salarié-e-s, indépendamment de leur nationalité ou de leur permis de séjour, que les luttes syndicales peuvent déboucher sur des victoires. Or dans le contexte d’une mondialisation néolibérale qui attaque massivement les conditions de travail, de salaire et l’ensemble des droits sociaux, construire une riposte unitaire est un des principaux défis posés aux organisations syndicales.

On ne pourra pas construire cette unité sans s’opposer à une politique migratoire qui précarise et discrimine nos collègues immigré-e-s. Ni sans combattre les discours xénophobes qui justifient cette politique et contribuent à diviser les salarié-e-s selon leur nationalité, leur statut de séjour, leur religion et leur couleur de peau.

La bataille en cours contre Frontex est l’un des aspects de ce combat.

Paru dans Services Publics n°6, 15 avril 2022. Une version plus étoffée de ce texte a été publiée sur le site asile.ch: https://asile.ch/2022/04/25/frontex-la-delocalisation-sur-place-et-les-syndicats/


[1] Selon l’article 23 de la Loi sur les étrangers et l’intégration.

[2] OFS: Enquête suisse sur la population active (ESPA).

[3] https://www.swissinfo.ch/ger/schweizer-unternehmen-ziehen-milliarden-aus-toechtern-im-ausland-ab/46218474

[4] OFS: Enquête suisse sur les salaires 2020.