Faire campagne pour un avenir meilleur de l’enseignement supérieur et de la recherche

de: Comité syndical européen de l'éducation (CSEE-ETUCE)

Résolution adoptée par la Conférence du Comité syndical européen de l'éducation, réunie les 5-6 juillet 2021.

Faisant suite et conformément aux résolutions adoptées par le 8ème Congrès de l’Internationale de l'éducation à Bangkok en 2019 et aux résolutions adoptées à la Conférence du CSEE en 2020, cette Conférence du CSEE

Reconnaît ce qui suit :

1. Au cours de cette dernière décennie, une réduction du financement public de base pour l’enseignement supérieur et la recherche a pu être observée dans un grand nombre de pays européens, avec des conséquences négatives pour la qualité et l’équité. Le financement public de base a souvent été remplacé par des mécanismes concurrentiels orientés sur le marché, tels que les systèmes d’indicateurs et de financement fondés sur la performance qui, en retour, ont accentué le court-termisme dans toutes les activités et discrédité la recherche fondamentale, motivée par le besoin de savoir, et l’ensemble des domaines de recherche sans application immédiate ;

2. Le recours excessif aux objectifs mesurables à court terme représente également une menace pour l’enseignement supérieur et la recherche. Toutes les activités de haute qualité menées dans l’enseignement supérieur et la recherche nécessitent un engagement à long terme des gouvernements, des universités, des établissements d’enseignement supérieur et des organismes de financement, qui soit à la hauteur de l’engagement considérable dont font preuve les personnels de ces secteurs à l’égard de leur travail. En revanche, la priorité accordée aux indicateurs et le financement basé sur la performance ont conduit à une augmentation des emplois précaires ;

3. Les établissements d’enseignement supérieur et les universités ont subi de fortes pressions pour développer des programmes davantage orientés sur le marché et associer plus étroitement la recherche financée par les pouvoirs publics aux intérêts commerciaux. D’autre part, les universités se sont vu assigner de nouvelles tâches telles que l’organisation/la dispense de l’apprentissage continu ;

4. Les politiques quasi-commerciales, la gouvernance et les modèles organisationnels – souvent empruntés naïvement au secteur privé sans véritable prise de conscience de leur incidence négative sur la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche – ont également nui à la protection de la liberté académique et de la gouvernance collégiale ;

5. A terme, seules la liberté académique, la gouvernance collégiale, la titularisation et la recherche de l’amélioration continue soutenue par un financement durable permettront à l’enseignement supérieur et à la recherche d’apporter des avantages plus conséquents à la société et à l’humanité ;

6. La liberté académique et l’autonomie institutionnelle ont été directement visées par les politiques répressives des gouvernements autoritaires et les forces antidémocratiques dont l’influence ne cesse de croître dans plusieurs pays européens ;

7. Au cours de cette dernière décennie, on a assisté à une dégradation constante des mécanismes pertinents de négociation collective et de dialogue social dans l’enseignement supérieur et la recherche, qui a contribué à faire baisser les salaires, à augmenter la charge de travail, à renforcer les inégalités salariales et à accentuer l’insécurité de l’emploi ;

8. La gouvernance collégiale, la haute qualité des conditions de travail, ainsi que la formation initiale et le développement professionnel continu, sont essentiels pour garantir une recherche et un enseignement de qualité, et des résultats d’apprentissage des étudiant·e·s, un ensemble de valeurs sanctuarisées dans le Communiqué de Rome (2020) adopté par les pays du processus de Bologne (Espace européen de l’enseignement supérieur – EEES) ;

9. Il est essentiel de diversifier la communauté des universitaires, des effectifs et des équipes de recherche et d’assurer un financement public structurel adéquat de leur formation initiale et de leur développement professionnel continu de qualité, afin de garantir la dimension sociale de l’enseignement supérieur et de la recherche, telle que mentionné dans l’annexe II du Communiqué de Rome « Principes et lignes directrices pour renforcer la dimension sociale de l’enseignement supérieur dans l’EEES » ;

10. La pandémie de Covid-19 a un impact profond sur l’organisation, le financement et l’accès égalitaire à l’enseignement supérieur et la recherche en Europe, de même sur la liberté académique et les droits de propriété intellectuelle des universitaires et du personnel de recherche. À bien des égards, la pandémie a renforcé plusieurs tendances observées depuis un certain temps et fait peser de nouvelles pressions sur le personnel et les étudiant·e·s ;

11. Les nouvelles pressions sur le personnel de l’enseignement supérieur et de la recherche dues à la Covid-19 sont notamment :

  • a. Le passage rapide à l’« enseignement à distance d’urgence » et la nécessité croissante de développer l’apprentissage mixte et en ligne à plus long terme pour un plus grand nombre d’étudiant·e·s, avec des conséquences pour la pédagogie, les conditions de travail, le respect de la vie privée et le rôle des entreprises technologiques commerciales offrant des services éducatifs pour l’enseignement supérieur ;
  • b. L’adoption d’une « approche d’urgence » de la gouvernance et de l’organisation au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui limite et affaiblit davantage la gouvernance démocratique et collégiale ;
  • c. Les modifications apportées aux procédures d’examen et d’évaluation dans l’enseignement secondaire supérieur et les universités ;
  • d. La suspension des programmes de recherche et de doctorat, qui peut avoir de graves conséquences pour les chercheur·euse·s en début de carrière travaillant dans le cadre de contrats à court terme ou bénéficiant de bourses d’études, au cas où il ne leur serait plus possible de poursuivre/achever leurs travaux de recherche selon un calendrier déterminé ;
  • e. Une division davantage marquée, en raison des voies de financement, entre la recherche et l’enseignement, visible dans l’augmentation du nombre de postes créés soit dans l’enseignement soit dans la recherche, en remplacement des postes associant recherche et enseignement, mettant en péril la qualité de ces deux secteurs;
  • f. Les universitaires parents de jeunes enfants (hommes et femmes principalement en début de carrière et sous contrats précaires) se voient contraint·e·s, plus que les autres universitaires, de renoncer à des perspectives de carrière en raison de leurs responsabilités familiales et de la prise en charge des cours à domicile, les femmes universitaires étant les premières à en subir les conséquences négatives;
  • g. La situation des femmes universitaires, contraintes de prendre en charge un nombre nettement plus im- portant de tâches supplémentaires (notamment vis-à-vis de la communauté scientifique, leurs collègues et des étudiant·e·s) et tenues d’organiser l’enseignement à domicile au détriment de leurs activités et de leurs carrières scientifiques ;
  • h. Les restrictions concernant la mobilité internationale des étudiant·e·s, des enseignant·e·s, des cher- cheur·euse·s et du personnel, imposées par la pandémie en Europe ;
  • i. Le nombre croissant d’incertitudes entourant le financement des établissements d’enseignement supérieur, à la suite des décrochages scolaires et de la diminution du nombre d’étudiant·e·s internationaux·ales, la vol- atilité actuelle des indicateurs et du financement basé sur la performance, ainsi que la crainte de nouvelles coupes budgétaires.

12. La crise de la charge de travail imputable à l’apprentissage mixte et en ligne, et les pertes d’emploi pour le personnel sous contrat précaire ou à durée déterminée. Ces évolutions ont davantage touché certaines catégories particulières de personnel, comme les femmes et les minorités ethniques, tandis que la pandémie a également eu un effet négatif sur la santé mentale et le bien-être du personnel et des étudiant·e·s. Il est à craindre que bon nombre de ces changements en réaction à la Covid-19 prennent un caractère permanent ;

13. D’autre part, l’année écoulée a mis en lumière le rôle essentiel du personnel de l’enseignement supérieur et de la recherche pour garantir la continuité des études universitaires en période de pandémie mondiale, ainsi que le rôle crucial des chercheur·euse·s et des scientifiques dans toutes les filières, y compris les sciences humaines et sociales, pour répondre à l’urgence sanitaire. La pandémie a également montré l’importance des ressources éducatives libres (REL), du libre accès et de la science ouverte pour les systèmes d’enseignement supérieur et de recherche en Europe. En outre, la crise de la Covid-19 a réaffirmé l’importance des syndicats de l’enseignement pour prioriser la santé et la sécurité sur les lieux de travail ;

14. En réponse à la crise, il est nécessaire de mettre en place un programme pour développer des systèmes d’enseignement supérieur et de recherche plus durables et plus inclusifs en Europe après la pandémie. Les syndicats de l’enseignement doivent jouer un rôle de premier plan dans la préparation des politiques et stratégies pour l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche.

En conséquence, la Conférence extraordinaire appelle le CSEE et ses organisations membres à :

15. S’opposer à la réduction des budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche et/ou aux tentatives des gouvernements de financer un ensemble plus restreint de disciplines et de projets de recherche en réponse à la crise économique ;

16. Faire campagne pour garantir un investissement public pour l’ensemble des systèmes d’enseignement supérieur et de recherche, comme un moyen d’assurer une reprise à long terme et équitable au lendemain de la crise sanitaire, climatique, écologique, économique et sociale actuelle ;

17. Réaffirmer l’importance de l’enseignement supérieur et de la recherche bien public et contributeur essentiel à la culture, à la société, au développement durable et à la démocratie, autant qu’à l’économie ;

18. Insister sur la distinction entre le financement et la fonction d’évaluation de la qualité au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche et promouvoir une plus grande utilisation des formes collégiales d’évaluation ;

19. Défendre une vision à plus long terme de la gouvernance de l’enseignement supérieur et de la recherche et renforcer la protection et la promotion de la liberté académique, éléments essentiels pour la qualité de l’enseignement et de la recherche, et appeler les gouvernements du processus de Bologne (EEES) à respecter leur engagement à défendre l’autonomie institutionnelle, la liberté et l’intégrité académiques, la participation des étudiant·e·s et du personnel à la gouvernance de l’enseignement supérieur, ainsi que la responsabilité publique de ce secteur, tel que mentionné dans le Communiqué de Rome (2020) ;

20. Faire campagne pour renforcer les institutions démocratiques, la gouvernance collégiale et le dialogue social dans le cadre de la stratégie visant à sauvegarder la liberté académique ;

21. Demander aux gouvernements de veiller à ce que le «droit à une éducation, à une formation et à un apprentissage tout au long de la vie, inclusifs et de qualité», tel qu’inscrit dans le Socle européen des droits sociaux (2017), soit garanti pour le personnel de l’enseignement supérieur et de la recherche et les étudiant·e·s ;

22. Engager des débats clés sur l’avenir de la numérisation et de l’automatisation au sein de l’enseignement supérieur et demander que les conditions de travail, les infrastructures, les effectifs, les droits de propriété intellectuelle, le respect de la vie privée, le financement et la responsabilité publique pour/de l’enseignement supérieur ne soient pas mis en péril en raison de ces évolutions ;

23. Demander que les accords pour l’apprentissage en ligne soient accompagnés de ressources et de financements suffisants, négociés et entérinés par des syndicats de l’enseignement supérieur ;

24. Intervenir dans les débats politiques clés concernant les qualifications orientées sur le marché du travail, comme les micro-certifications, et, ce faisant, défendre les valeurs fondamentales et l’importance des établissements autonomes qui promeuvent la connaissance, la recherche, la citoyenneté démocratique, sans répondre ni aux pressions commerciales ni aux besoins à très court terme ;

25. Faire pression pour un financement durable et équitable de la recherche, notamment l’octroi sans conditions de fonds suffisants aux établissements d’enseignement supérieur pour la recherche, et pour un financement approprié de la recherche dans le domaine des arts, des sciences humaines et des sciences sociales

26. Faire campagne en faveur de politiques pour les ressources éducatives libres (REL), l’accès libre et la science ouverte au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche, notamment le développement de plateformes financées par les pouvoirs publics pour la publication libre des REL et des recherches, dans le respect des droits d’auteur des universitaires et de leur libre choix des méthodes de publication, selon leurs préférences ;

27. Réclamer des mécanismes pertinents pour la négociation collective et le dialogue social au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que de meilleures garanties pour limiter la charge de travail et protéger la santé et la sécurité en milieu professionnel ;

28. Demander un meilleur équilibre entre recherche et enseignement dans les carrières universitaires et faire pression pour réaliser des audits d’égalité, afin de s’assurer que les effets de la pandémie et des confinements ne désavantagent pas certaines catégories de personnel. Il s’agirait, par exemple, d’apporter une forme de soutien supplémentaire au à ceux·celles qui, en raison des restrictions et de la fermeture des écoles, des jardins d’enfants, des crèches et des centres de soins, doivent assumer des responsabilités telles que la prise en charge d’enfants ou de proches nécessitant des soins ;

29. Faire campagne pour renforcer le professionnalisme de la recherche et l’attrait des carrières universitaires, exiger notamment des «emplois permanents pour des tâches permanentes» dans l’enseignement et la recherche et, à court terme, faire pression en faveur de la prolongation des contrats à durée déterminée du personnel et des doctorant·e·s pour compenser l’impact de la crise ;

30. Plaider en faveur de programmes de coopération internationale de haute qualité et de systèmes de mobilité réciproque pour le personnel et les étudiant·e·s en Europe.


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