Le 15 mai, nous voterons sur la «reprise du règlement de l’UE relatif au corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes (développement de l’acquis de Schengen)».
Le corps européen de garde-côtes est plus connu sous l’appellation de Frontex. L’agence a pour mission d’aider les Etats membres de l’Union européenne (UE) et les quatre Etats (dont la Suisse) qui lui sont associés au sein de l’espace Schengen à surveiller leurs frontières extérieures [1]. Elle est financée par le budget de l’UE, ainsi que par des contributions des pays associés.
Un développement fulgurant
En 2019, l’UE a décidé de renforcer les moyens de Frontex: d’ici 2027, l’agence disposera de 10'000 gardes-frontières – contre environ 1500 aujourd’hui; son budget fera un bond: il se montera à 11 milliards d’euros entre 2021 et 2027 – en 2005, il était d’environ 6 millions d’euros.
La Suisse contribuerait à cet effort en fournissant jusqu’à 39 fonctionnaires fédéraux-ales à Frontex et en augmentant sa contribution financière à l’agence – de 24 millions de francs en 2021, celle- ci passerait à 61 millions en 2027. En octobre dernier, le parlement fédéral a accepté ces mesures en adoptant le règlement européen relatif à Frontex. Des collectifs de défense d’exilé-e-s, emmenés par le Migrant Solidarity Network, ont lancé un référendum. Ils ont été rejoints par les Vert-e-s et le Parti socialiste (PS). Le référendum ayant abouti, nous voterons sur la question le 15 mai prochain.
Les raisons du non
Les syndicats de l’Union syndicale suisse, dont le SSP, se joignent aux collectifs de soutien aux mi- grant-e-s, au PS et aux Vert-e-s pour appeler à voter non au renforcement de Frontex. Ces organisations dénoncent la complicité de l’agence avec les violations des droits de l’homme. «Près de 24000 personnes sont mortes depuis 2014 en route vers l’Europe, sous les yeux de l’agence et de ses troupes d’intervention», dénonce le comité No Frontex en Suisse.
Des tortionnaires libyens...
Parmi les principales accusations qui pèsent sur l’agence, il y a sa collaboration avec les garde-côtes libyens. En juillet 2021, Amnesty détaillait dans un rapport les tortures, les abus et les violences infligées aux exilé-e-s dans les centres de détention libyens [2]. Or «sans les informations de Frontex, les gardes-frontières libyens ne pourraient jamais intercepter autant de migrants» expliquait aux médias Mateo de Bellis, membre d’Amnesty. Concrètement, Frontex identifie les bateaux de réfugié-e-s en mer Méditerranée grâce à ses avions, puis rapporte leur position aux au- torités libyennes, qui viennent les cueillir.
... aux pushback illégaux
Frontex est aussi critiquée pour sa collaboration à des «pushback» de réfugié-e-s – ces opéra- tions au cours desquelles des garde-côtes repoussent les embarcations d’exilé-e-s en haute mer après avoir détruit leurs moteurs. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel a documenté très récemment, photos à l’appui, la participation de Frontex – en collaboration avec les garde- côtes grecs – au refoulement d’un bateau, comptant notamment quatre enfants à son bord, dans la mer Égée.
Sur la sellette à bruxelles
Dans cer- taines instances européennes, la méfiance envers Frontex est à son comble. À la suite des nombreuses dénonciations dont elle a fait l’objet, l’office européen de lutte antifraude a ouvert une enquête à l’encontre de l’agence en 2021. En avril de la même année, une commission d’enquête mise sur pied par le Parlement européen a rendu un rapport accablant sur la question. Il y confirme la participation d’employé-e-s de Frontex à l’interception d’embarcations en mer Égée, dont les occupant-e-s auraient été «systématiquement renvoyés-e-s au large sur des bateaux pneumatiques dépourvus de moteur». Fabrice Leggeri, directeur de l’agence Frontex, est aussi sur la sellette: il aurait détruit des preuves pour cacher ces violations [3]. La crise de confiance est telle que, en octobre dernier, le Parlement européen a décidé de geler une partie du budget de Frontex pour l’année 2022. Il exige notamment que l’agence renforce la protection des droits fondamentaux avant de toucher l’ensemble des sommes qui lui sont dédiées.
Financer un accueil digne
En Suisse, les opposant-e-s à l’agence européenne demandent que les millions prévus pour financer Frontex soient utilisés pour garantir un accueil digne et humain de toutes les personnes migrantes en Suisse. En cas de non le 15 mai, ils et elles sont décidé-e-s à collaborer avec les critiques de Frontex au Parlement européen dans le but d’imposer une refonte totale de l’agence.
Pour garantir le respect des droits fondamentaux de toutes et tous, votons non à Frontex le 15 mai prochain!
Paru dans Services Publics n°5, 1er avril 2022
[1] Sur le fonctionnement et les activités menées par Frontex, lire Services Publics, No 4, 18 mars 2022, p.7.
[2] Amnesty International: No one will look for you. Forcibly returned from sea to abusive detention in Libya. Juillet 2021.
[3] RTS, 15 juillet 2021.