My goodness ! Le NHS est en grève

de: Guy Zurkinden, rédacteur

Au Royaume-Uni, pour la première fois de leur histoire, des dizaines de milliers d’infirmières et les ambulanciers font grève pour dénoncer la destruction du service public de santé. Une vague de contestation parcourt le monde du travail.

photo du syndicat Unite, @UniteSharon

C’est une première historique. Le 15 décembre, 100'000 infirmières et infirmiers mènent, à l’appel de leur syndicat, le Royal College of Nursing (RCN), une première journée de grève dans 53 hôpitaux du service public de santé britannique, le National Health Service (NHS). Une deuxième journée de débrayage devrait suivre, le 20 décembre. Le 21, ce sera au tour des ambulancières et ambulanciers d’entrer dans la danse. Selon la centrale syndicale GMB, ils et elles seront 10'000 à faire grève en Angleterre et dans le Pays de Galle.

Appauvrissement général
Un mouvement d’ampleur secoue le service de santé publique britannique. Les salarié·e·s et leurs syndicats demandent des hausses de salaires supérieures à l’inflation (plus de 11% sur une année en octobre), alors que l’employeur propose 5% - selon le ministre conservateur de la santé, Stephen Barclay, le pays traverserait une « période difficile pour tout le monde », et les demandes syndicales seraient « inabordables ». Il faut préciser que les rémunérations ont baissé de manière drastique dans le secteur de santé britannique: depuis 2010, le salaire réel du personnel infirmier a par exemple plongé de 20%. « Nous avons ici un groupe d’infirmières qui font le tour de Liverpool à la recherche de magasins de charité, dans le but de pouvoir acheter des jouets pour leurs enfants à Noël », indiquait Carmel O’Boyle, infirmière dans la ville de Liverpool, mettant le doigt sur la détresse qui touche ses collègues [1]. La situation est si critique qu’un hôpital sur quatre a mis en place des banques alimentaires pour soutenir son personnel [2].

Sauver le NHS
Mais les revendications ne s’arrêtent pas là. « Cette grève, ce n’est pas juste pour les revenus, il s’agit de sauver le système de santé public. Le NHS est en train de s’effondrer. Nous n’arrivons pas à recruter et à retenir le personnel, car les salaires sont si bas » explique Jason Kirkham, ambulancier et militant du syndicat Unite [3]. « Après 12 ans de coupes contre le secteur de santé et les salaires, les salarié·e·s du NHS en ont marre. La dernière chose dont ils et elles ont envie, c’est de faire grève. Mais le gouvernement ne leur laisse pas le choix », ajoute Rachel Harrison, secrétaire national du syndicat GMB. Aux yeux de ses employé·e·s, c’est donc la survie du NHS qui est en jeu.

Universel et gratuit le NHS, avec 1,6 million de salarié·e·s, est une véritable institution au Royaume-Uni. Le sous-financement, les coupes dans les salaires réels, l’augmentation du stress au travail et trois années de Covid l’ont pourtant laissé exsangue. Selon le RCN, il manque aujourd’hui 47'000 postes infirmiers et 130'000 emplois dans la santé, rien qu’en Angleterre.

Ces carences se sont combinées à des manquements dans le secteur des services sociaux et au sous-investissement dans les équipements, aboutissant à créer des listes d’attente démesurées dans les hôpitaux, y compris pour les soins d’urgence – avec des ambulances stationnant devant les hôpitaux en attendant que les patient·e·s y soient admis·e·s.

Un million de grévistes en décembre
La colère sociale ne s’arrête pas à la santé. « Plus d’un million de travailleurs et travailleuses s’apprêtent à faire grève, entre les 12 et 31 décembre, à l’appel de leurs différentes centrales syndicales, risquant de paralyser une partie du pays pendant les fêtes de fin d’année »[4]. Le 16 décembre, les bagagistes de l’aéroport de Heathrow mèneront une grève de 72 heures. Les 22 et le 23 décembre, ce sera au tour du personnel de nettoyage des trains. Ils seront accompagnés des salarié·e·s des autoroutes, puis des douaniers. Du 24 au 27 décembre, ce seront les employé·e·s du réseau ferroviaire qui débraieront. Les 115'000 salarié·e·s du service public postal mènent de leur côté des actions de grève depuis le 9 décembre. Tous revendiquent des hausses de salaires à la hauteur de l’inflation et dénoncent un appauvrissement général, conséquence de la cure d’austérité imposée depuis 2010.

De son côté, le nouveau Premier ministre, le multimillionnaire Rishi Sunak, juge les revendications des syndicats « trop élevées ». Il prépare en parallèle de nouvelles restrictions au droit de grève. Un gigantesque bras de fer social secoue la Grande-Bretagne. Peut-être le plus grand depuis l’affrontement entre les mineurs et Margaret Thatcher, au milieu des années 1980.


[1] The Guardian, 11 décembre 2022.

[2] Le Monde, 25 novembre 2022.

[3] The Guardian, 6 décembre 2022.

[4] Le Monde, 13 décembre 2022.